La principale difficulté de la presse aujourd’hui est liée à l’irruption des réseaux sociaux (RS). Pendant des décennies, la presse s’est développée dans la continuité. La stabilité était la règle. Depuis une dizaine d’années, cette quiétude est remise en cause. D’abord avec les agrégateurs d’infos que l’on trouve sur internet, comme Google News, par exemple. Depuis trois-quatre ans, les RS ont pris le relais. FB et Twitter offrent des informations en continu, à un rythme qui s’accélère sans cesse. Entre la presse et les RS, on a désormais 2 systèmes d’informations parallèles qui se nourrissent l’un de l’autre, mais qui sont également en concurrence.
La presse traditionnelle, qui est de plus en plus sur les RS, priorise toujours ses sources traditionnelles, comme les agences de presse, les journalistes-correspondants, les communiqués de presse, les contacts avec des personnes autorisées. A ces sources, extrêmement nombreuses, s’ajoute donc le flot d’informations venant des RS, Twitter et Facebook essentiellement.
Pour les réseaux sociaux, les infos arrivent de « partout ». On y trouve pêle-mêle les mêmes sources qui alimentent la presse (souvent en adaptant leurs informations au public des RS), des spécialistes parfois très pointus, des relayeurs d’info (souvent des journalistes) ainsi que Madame et Monsieur Tout-le-Monde. On est donc en présence de deux flots d’informations qu’on voudrait bien complémentaires mais qui sont encore antagonistes.
La presse ne sait pas comment traiter l’info émanant de Twitter et FB ; elle ne sait pas comment gérer la tension entre les aspects qualité, fiabilité et la rapidité. La presse traditionnelle propose généralement des infos fiables. Mais les RS sont beaucoup plus rapides. Alors, que doit faire la presse? Continuer selon le schéma traditionnel de vérification de l’info et accepter de ne pas être aussi rapide que les RS ? Entrer en concurrence avec les RS, avec un risque élevé de perdre en fiabilité?
L’enjeu, c’est la crédibilité. Si la presse traditionnelle se trompe trop souvent, si le public a le sentiment qu’elle dit n’importe quoi, ce sera dévastateur pour elle. Car tout le système est basé sur la confiance. Et si la confiance disparaît, c’est la spécificité de la presse qui disparaît en même temps. Voilà pourquoi elle ne peut pas prendre le risque de renoncer à la vérification de ses sources. Mais, même si elle ne met qu’une heure pour ce faire ce travail de vérification, elle arrivera comme la grêle après la vendange. Le fil des infos des RS aura pris une avance considérable.
Les RS ne sont pas un phénomène passager. Ils évoluent, c’est sûr, mais ils sont là à long terme. Nous sommes de plus en plus environnés par les RS et plus ça avance, plus nous allons les utiliser. On ne peut plus vivre sans. Les jeunes sont sur les RS et de moins en moins sur la presse traditionnelle, ou alors ils choisissent de la lire sur leur smartphone.
Je pense que le journal papier va disparaître. Le problème, c’est qu’avec cette disparition, c’est l’idée de synthèse qui est en péril. Le quotidien que l’on feuillète nous donne un reflet synthétique de l’actualité – à tout le moins l’actualité qu’il a choisi de nous livrer ! Avec sa mise en page, sa hiérarchisation, ses titres, ses photos, le journal papier nous dit quelque chose d’important sur le monde dans lequel nous sommes. Cette vision synthétique, on ne peut pas la retrouver sur son écran. Face au flot continu des news sur les RS, il n’y a plus la possibilité d’avoir de hiérarchisation des infos. Donc, vraisemblablement le papier va disparaître. Mais il ne sera pas remplacé dans son rôle de hiérarchisation et de synthèse des informations. Je vois là un risque majeur pour la capacité des gens à « bien » s’informer.
La difficulté est qu’elle n’a pas trouvé de modèle économique viable pour faire face à la gratuité sur internet. Le public considère qu’il est normal que l’information qui arrive sur nos écrans / smartphones soit gratuite. Dès lors, si d’un côté on a de l’information gratuite et de l’autre de l’information qui coûte 500.- par année pour un abonnement, il y a un gros problème. La question qui se pose est donc celle-ci : comment faire face à la gratuité des RS tout en proposant un contenu qui n’est pas gratuit puisqu’il faut payer des journalistes pour enquêter, rendre compte, synthétiser, écrire, commenter…
Quand nous sommes sur les RS, nous sommes submergés par l’info. Nous faisons face à des centaines, des milliers de news chaque jour. Quand l’actualité s’emballe, lors d’un attentat ou du décès d’une star par exemple, mon fil Twitter me propose des centaines d’infos en flots continus. C’est juste ingérable ! Et c’est à moi de faire le tri dans tout ça ! Ce travail, la presse sait parfaitement le faire. C’est en cela aussi qu’elle est indispensable.
C’est effectivement un élément moteur du succès des fils d’actu sur internet. Chacun se fait son info à la carte. Chacun peut consulter les sources qui l’intéressent. C’est magique ! En même temps, c’est aussi un réel danger. Il n’y a plus réellement d’informations dominantes. Il est aujourd’hui possible d’être accro aux infos, d’en lire toute la journée et de passer totalement à côté du drame de la Syrie. L’information est en quelque sorte atomisée. C’est un double danger : d’une part, il n’y a plus de corpus d’informations moyen au sein de la population. D’autre part, pour beaucoup, une vision cohérente de la société devient impossible.
J’espère bien que non ! Le rôle du journaliste est absolument essentiel. Il fait un travail de tri, de digestion et de médiateur. C’est grâce à lui, ses connaissances, ses compétences que l’information est encore « lisible », « audible » et « regardable ». C’est en s’appuyant sur son travail que nous pouvons évaluer la fiabilité d’une information. Cela dit, comme le secteur de la presse est sinistré, le métier est effectivement en danger dans la mesure où il se précarise à grande vitesse. Quel est le journaliste qui aujourd’hui sait s’il sera toujours dans ce métier dans un ou deux ans?
Il faudrait qu’elle trouve un mode de financement différent du mode actuel. La publicité qui générait une partie importante de ses revenus se réduit comme une peau de chagrin. Les annonceurs ont tendance à déserter les versions papier des journaux. Mais ils ne se précipitent pas sur leurs versions web. A quoi pourraient ressembler ces nouveaux modes de financement? A des aides publiques, du sponsoring, du mécénat. Ce sont des voies à explorer, même si les questions qu’elles soulèvent – celle de l’indépendance rédactionnelle, notamment – sont délicates.
* Interview réalisée le 5 décembre 2015 par les participants au CAS HEG Fribourg/SPRI Rédaction stratégique en communication 2015
La principale difficulté de la presse aujourd’hui est liée à l’irruption des réseaux sociaux (RS). Pendant des décennies, la presse s’est développée dans la continuité. La stabilité était la règle. Depuis une dizaine d’années, cette quiétude est remise en cause. D’abord avec les agrégateurs d’infos que l’on trouve sur internet, comme Google News, par exemple. Depuis trois-quatre ans, les RS ont pris le relais. FB et Twitter offrent des informations en continu, à un rythme qui s’accélère sans cesse. Entre la presse et les RS, on a désormais 2 systèmes d’informations parallèles qui se nourrissent l’un de l’autre, mais qui sont également en concurrence.
La presse traditionnelle, qui est de plus en plus sur les RS, priorise toujours ses sources traditionnelles, comme les agences de presse, les journalistes-correspondants, les communiqués de presse, les contacts avec des personnes autorisées. A ces sources, extrêmement nombreuses, s’ajoute donc le flot d’informations venant des RS, Twitter et Facebook essentiellement.
Pour les réseaux sociaux, les infos arrivent de « partout ». On y trouve pêle-mêle les mêmes sources qui alimentent la presse (souvent en adaptant leurs informations au public des RS), des spécialistes parfois très pointus, des relayeurs d’info (souvent des journalistes) ainsi que Madame et Monsieur Tout-le-Monde. On est donc en présence de deux flots d’informations qu’on voudrait bien complémentaires mais qui sont encore antagonistes.
La presse ne sait pas comment traiter l’info émanant de Twitter et FB ; elle ne sait pas comment gérer la tension entre les aspects qualité, fiabilité et la rapidité. La presse traditionnelle propose généralement des infos fiables. Mais les RS sont beaucoup plus rapides. Alors, que doit faire la presse? Continuer selon le schéma traditionnel de vérification de l’info et accepter de ne pas être aussi rapide que les RS ? Entrer en concurrence avec les RS, avec un risque élevé de perdre en fiabilité?
L’enjeu, c’est la crédibilité. Si la presse traditionnelle se trompe trop souvent, si le public a le sentiment qu’elle dit n’importe quoi, ce sera dévastateur pour elle. Car tout le système est basé sur la confiance. Et si la confiance disparaît, c’est la spécificité de la presse qui disparaît en même temps. Voilà pourquoi elle ne peut pas prendre le risque de renoncer à la vérification de ses sources. Mais, même si elle ne met qu’une heure pour ce faire ce travail de vérification, elle arrivera comme la grêle après la vendange. Le fil des infos des RS aura pris une avance considérable.
Les RS ne sont pas un phénomène passager. Ils évoluent, c’est sûr, mais ils sont là à long terme. Nous sommes de plus en plus environnés par les RS et plus ça avance, plus nous allons les utiliser. On ne peut plus vivre sans. Les jeunes sont sur les RS et de moins en moins sur la presse traditionnelle, ou alors ils choisissent de la lire sur leur smartphone.
Je pense que le journal papier va disparaître. Le problème, c’est qu’avec cette disparition, c’est l’idée de synthèse qui est en péril. Le quotidien que l’on feuillète nous donne un reflet synthétique de l’actualité – à tout le moins l’actualité qu’il a choisi de nous livrer ! Avec sa mise en page, sa hiérarchisation, ses titres, ses photos, le journal papier nous dit quelque chose d’important sur le monde dans lequel nous sommes. Cette vision synthétique, on ne peut pas la retrouver sur son écran. Face au flot continu des news sur les RS, il n’y a plus la possibilité d’avoir de hiérarchisation des infos. Donc, vraisemblablement le papier va disparaître. Mais il ne sera pas remplacé dans son rôle de hiérarchisation et de synthèse des informations. Je vois là un risque majeur pour la capacité des gens à « bien » s’informer.
La difficulté est qu’elle n’a pas trouvé de modèle économique viable pour faire face à la gratuité sur internet. Le public considère qu’il est normal que l’information qui arrive sur nos écrans / smartphones soit gratuite. Dès lors, si d’un côté on a de l’information gratuite et de l’autre de l’information qui coûte 500.- par année pour un abonnement, il y a un gros problème. La question qui se pose est donc celle-ci : comment faire face à la gratuité des RS tout en proposant un contenu qui n’est pas gratuit puisqu’il faut payer des journalistes pour enquêter, rendre compte, synthétiser, écrire, commenter…
Quand nous sommes sur les RS, nous sommes submergés par l’info. Nous faisons face à des centaines, des milliers de news chaque jour. Quand l’actualité s’emballe, lors d’un attentat ou du décès d’une star par exemple, mon fil Twitter me propose des centaines d’infos en flots continus. C’est juste ingérable ! Et c’est à moi de faire le tri dans tout ça ! Ce travail, la presse sait parfaitement le faire. C’est en cela aussi qu’elle est indispensable.
C’est effectivement un élément moteur du succès des fils d’actu sur internet. Chacun se fait son info à la carte. Chacun peut consulter les sources qui l’intéressent. C’est magique ! En même temps, c’est aussi un réel danger. Il n’y a plus réellement d’informations dominantes. Il est aujourd’hui possible d’être accro aux infos, d’en lire toute la journée et de passer totalement à côté du drame de la Syrie. L’information est en quelque sorte atomisée. C’est un double danger : d’une part, il n’y a plus de corpus d’informations moyen au sein de la population. D’autre part, pour beaucoup, une vision cohérente de la société devient impossible.
J’espère bien que non ! Le rôle du journaliste est absolument essentiel. Il fait un travail de tri, de digestion et de médiateur. C’est grâce à lui, ses connaissances, ses compétences que l’information est encore « lisible », « audible » et « regardable ». C’est en s’appuyant sur son travail que nous pouvons évaluer la fiabilité d’une information. Cela dit, comme le secteur de la presse est sinistré, le métier est effectivement en danger dans la mesure où il se précarise à grande vitesse. Quel est le journaliste qui aujourd’hui sait s’il sera toujours dans ce métier dans un ou deux ans?
Il faudrait qu’elle trouve un mode de financement différent du mode actuel. La publicité qui générait une partie importante de ses revenus se réduit comme une peau de chagrin. Les annonceurs ont tendance à déserter les versions papier des journaux. Mais ils ne se précipitent pas sur leurs versions web. A quoi pourraient ressembler ces nouveaux modes de financement? A des aides publiques, du sponsoring, du mécénat. Ce sont des voies à explorer, même si les questions qu’elles soulèvent – celle de l’indépendance rédactionnelle, notamment – sont délicates.
* Interview réalisée le 5 décembre 2015 par les participants au CAS HEG Fribourg/SPRI Rédaction stratégique en communication 2015
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